Taxe sur les boissons avec sucres ajoutés et édulcorants, élévation des droits d’accise sur la bière, taxe sur les boissons énergisantes, etc. La fiscalité dite « comportementale » sur les produits alimentaires n’a cessé de s’amplifier ces dernières années prenant pour prétexte, explicite ou implicite, des arguments de santé publique. Alors que le gouvernement est en pleine préparation d’une grande Loi de Santé Publique, deux rapports remis coup sur coup à la Ministre Marisol Touraine, l’un par une mission d’information du Sénat, l’autre par le Pr Serge Hercberg, préconisent d’aller plus loin encore et de mettre en œuvre une politique fiscale globale tablant sur des objectifs de santé publique.
C’est ainsi que le rapport d’information de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale a été présenté à la presse le 19 mars 2014 par ses rapporteurs, les sénateurs Catherine Deroche et Yves Daudigny. Ce dernier s’étant fait connaître fin 2012 en voulant quadrupler les taxes sur l’huile de palme. Mais ce projet baptisé « taxe Nutella » a finalement été abandonné.
Le rapport remet donc le couvert des taxes nutritionnelles, mais sous un angle plus global. La mission estime en effet que les pouvoirs publics peuvent légitimement recourir à l’utilisation de l’outil fiscal à des fins sanitaires au regard des coûts humains et financiers associés au tabac, à l’alcool et à l’obésité.
Les rapporteurs tranchent d’abord une question sémantique. Ils proposent d’abandonner la notion de « fiscalité comportementale », trop culpabilisante, au profit du terme « contribution de santé publique ». L’idée est de mettre en avant l’aspect responsabilisant, et de remettre l’objectif de santé publique au rang de motivation numéro un de ces prélèvements. La mission recommande d’insérer un volet fiscal dans chacune des stratégies pluriannuelles de santé publique définies par le gouvernement.
Le projet s’accompagne d’une redéfinition des taxes existantes. Les auteurs du rapport pointent que les taxes mises en places ces dernières années souffrent d’un manque de cohérence. Et de citer l’exemple des taxes imposées aux spiritueux et aux bières qui n’ont pas été mises en face d’une politique de lutte contre l’alcoolisme. De même pour la taxe sur les boissons sucrées dont le lien avec la nutrition n’a pas été affirmé.
Pour les sénateurs, l’heure est venue de remettre en cohérence ce système fiscal, à l’instar des barèmes affectés aux huiles végétales. Cette réflexion concerne aussi les boissons édulcorées, dont l’Efsa a rappelé l’innocuité en décembre dernier. La mission suggère donc de réexaminer la nécessité de maintenir des taxes de santé publique sur les produits dont l’innocuité est scientifiquement prouvée.
Outre la mise en place de « contributions de santé publique » inscrites dans une politique générale de santé pluri-annuelle, les rapporteurs préconisent de mettre en cohérence les taux de TVA. « Est-il logique que les boissons taxées telles que celles contenant des sucres ajoutés ou telles que les boissons énergisantes continuent de bénéficier d’une TVA à taux réduit ? », s’interrogent-ils. La mission estime que l’application de taux de TVA réduits doit être revue pour tenir compte des caractéristiques nutritionnelles des différents produits.
Un rapport qui fait écho à celui du Pr Serge Hercberg intitulé « Proposition pour un nouvel élan de la politique nutritionnelle française de santé publique », remis à la Ministre début 2014. Parmi une série de mesures radicales telles que la mise en place d’une échelle de qualité nutritionnelle sur la face avant des emballages ou la régulation de la publicité en fonction de la qualité nutritionnelle des aliments, le patron du PNNS propose lui aussi de jouer sur la fiscalité. Précisément, il s’agit de mettre en place un système de taxation conditionnelle et proportionnelle pour les aliments dont la qualité nutritionnelle est la moins favorable, ainsi qu’une réduction de la TVA pour ceux dont la qualité nutritionnelle est la plus favorable. Une proposition que le Pr Hercberg défend sur la base de résultats d’études scientifiques. « C’est la méthode qui permettrait des modifications de la consommation alimentaire vers des produits de meilleure qualité nutritionnelle, et partant de là, de plus grands gains en termes de santé dans les populations défavorisées », déclare-t-il.
Aucune organisation représentant l’industrie agroalimentaire n’a encore réagi. Il apparaît toutefois que des prélèvements supplémentaires seraient pour le moins difficiles à supporter dans un contexte de fragilisation du secteur agroalimentaire. Par ailleurs, ces mesures placent une nouvelle fois l’alimentation au même rang que les toxiques, à l’instar du tabac. Elles visent de surcroît à classer les aliments en deux catégories, les « bons » et les « mauvais ». Une démarche à l’anglo-saxonne, située à l’opposé du modèle alimentaire français.